Qu’on se le dise dans les chaumières, les temples et les palais ! Mon second recueil
de poésie, L’Atelier du soir, vient de paraître.
En cette heure haletante, solennelle, décisive où les augures – qu’Apollon les inspire
–, sondant ses entrailles, y guettent d’heureux ou contraires auspices et examinent
gravement sa destinée, comment, je vous prie, réfréner l’impétueux désir de leur
distiller à l’oreille bons mots, digressions impromptues et réflexions savantes ?
Puisqu’il serait toutefois hasardeux de me faire l’exégète de ma propre production
littéraire, entre inévitable parti-pris, enthousiasme excessif et myopie de qui s’est
tenu trop longtemps trop près de l’ouvrage s’édifiant, tâcherai-je donc d’éviter à son
endroit de trop pesantes paraphrases – puissent ses vers se suffire à eux-mêmes ! –
et viserai-je surtout à donner une idée d’ensemble et à évoquer quelques
impressions personnelles que me dicte dans l’instant ce fort agréable événement.
Ainsi dois-je en premier lieu citer le simple et immédiat plaisir des sens à contempler
et tenir en main ce bel objet du désir – Idée faite livre ; vagabonder et m’y perdre
dans un paysage mouvant et fantasque, semé de-ci de-là par une main inspirée
d’envoûtantes illustrations.
Bien entendu, comment ne pas dire le vif contentement de voir menée à bien l’œuvre
longuement remise sur le métier ? Chaque poème s’y révèle rouage unique et
insolite d’une plus grande horlogerie – pièce miniature au destin propre, de
fulgurances initiales en patiente et complexe maturation requise par la forme
classique, exigeante. N’y faut-il pas une attention extrême aux détails, une
authentique dévotion de vigneron ? Or quelle joie précisément en ce september
mensis – éternel temps béni des vendanges – de prodiguer ce fruit enfin mûr en
offrande d’automne aux Dieux et aux mortels ! Et ces oiseaux de la treille, en seront-
ils donc friands ?
Je conçois qu’à l’heure de la récolte, certains, interloqués, puissent n’y voir qu’une
déroutante curiosité, un déraisonnable caprice, voire une incongruité ; rêverie
désuète, improbable vieillerie. Pourquoi, en effet, convoquant charmes anciens et
ombres défuntes, prétendre ressusciter une poésie d’un autre âge et, drapant ces
fantaisies tantôt badines et tantôt sibyllines d’un habit apprêté, hiératique, quêter
dans une langue souvent surannée le mot ou la tournure inattendus, la rime rare et
rétive, à l’encontre des canons contemporains ?
Légitime interrogation qu’il me faudrait tenter d’éclaircir, pour le lecteur comme pour
moi-même… Irrémédiable inclination classique ? Nostalgie indéfinissable de temps
révolus ? Chimérique désir de redonner vie aux verbes d’antan ? Amour immodéré
de l’ornementation, goût minutieux de la broderie dont se revêt chaque texte ? Tribut
sisyphéen dû à la Muse éternelle, ou, c’est selon, jouissive ardeur d’une opiniâtre
escrime avec la rime, cette sourcilleuse diva ? Un peu de tout cela indubitablement,
mais plus encore sans doute – estimant avec Théophile Gautier que « tout ce qui est
utile est laid » – culte rendu à l’inutile et nécessaire folie, ce luxe souverain.
Gageons que ces quelques idées fragmentaires, comme autant de chandelles aux
murs, contribueront peut-être – si besoin était – à éclairer la visite de L’Atelier du soir
et à guider la déambulation du visiteur dans les détours parfois mystérieux de cette
singulière galerie.
Allons ; je n’ai que trop glosé. Laissons les oracles à leur noble besogne sans les
importuner davantage.
Que celles et ceux ayant concouru de quelque manière à cet achèvement reçoivent
ici l’expression de ma sincère gratitude – et bien sûr tout particulièrement Valérie
Dupont Roussel qui a librement illustré ce recueil de sa palette opulente et colorée.
Ce plaisir de l’instant, puisse-t-il être partagé…
Que l’on danse et festoie autour du pressoir !
François-Alexandre Garavel
En Lauragais, septembre 2022